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[Retour sur la Nuit du droit 2024] Quelle efficacité pour la liberté des femmes d’interrompre leur grossesse ?
Article réalisé à l'issue de la conférence "Quelle efficacité pour la liberté des femmes d’interrompre leur grossesse ?" le 3 octobre 2024 dans le cadre de la Nuit du droit à l'Université Jean Moulin Lyon 3.
Si en France, depuis la loi Veil du 17 janvier 1975 l’autonomie des femmes relative au recours à l’IVG n’a fait qu’augmenter, aux Etats-Unis au contraire la cour suprême revenait sur l’arrêt Roe vs Wade le 24 juin 2022. L’arrêt fédéral qui garantissait depuis 1973 le droit à l’avortement sur tout le territoire a été annulé, laissant donc à chaque état le choix sur la législation à mettre en place et mettant ainsi un stop au progrès des libertés des femmes. C’est suite à la montée en puissance de l’extrême droite conservatrice et du mouvement pro life réticents au droit à l’IVG que cette décision a été prise, un retour en arrière qui montre à quel point un droit préservé par la loi reste fragile. Depuis, 14 états sur 31 ont retiré le droit à l’ivg. Cette décision inquiétante a saisi l’opinion européenne et a mené à des questionnements et des débats dans toute la France faisant ainsi éclore l’idée que le droit à l’IVG devait être constitutionnalisé pour être mieux garanti.
C’est ainsi que le 8 mars 2024, le droit à l’IVG était inscrit dans la constitution française, et plus précisément au sein de l’article 34 définissant les domaines de la loi et obligeant le législateur à intervenir, où l’on a inséré la « garantie » de ce droit. C’est sur l’effectivité de cette réforme que sont venus nous éclairer des juristes, médecin et assistantes au planning familial lors de la conférence de la Nuit du droit à Lyon 3.
La portée de cette décision a tout d’abord permis de diffuser un message positif dans les consciences. L’ivg qui concerne une femme sur trois est toujours grandement stigmatisée, il était donc nécessaire de rendre visible cette question qui concerne toute la société. Il ne faut effectivement pas oublier qu’à l’origine, la dépénalisation de l’ivg en 1975 n’avait pas pour objectif de permettre aux femmes de choisir librement de donner la vie mais plutôt de mieux les contrôler et les dissuader par une contrainte de désincitation médicale. Malgré les législations qui ont peu à peu simplifié la procédure (1993 pénalisation des délits d’entrave à l’ivg, 2001 possibilités de recours pour les mineures, 2012 prises en charge intégrale de l’ivg, 2016 suppression du délai légal de réflexion…) le débat demeure récent. Ce choix de mettre, dans la loi suprême, le droit à l’IVG a donc apporté une certaine légitimité aux femmes ayant recours à l’avortement.
Pour les experts, la réforme est en revanche essentiellement représentative, la portée juridique reste restreinte. Même garanti, le recours à l’ivg est une liberté que l’on peut aisément conditionner, cela n’assure finalement qu’une faible protection. Il est toujours possible de jouer sur des délais de réflexion par exemple, un délai aujourd'hui qui n’existe plus mais dont le retrait avait fait débat. Pour certains il apparaissait comme un moment pour réfléchir autrement grâce à l’entretien psycho-social et ainsi éviter de prendre une décision sous le coup de la surprise. On peut cependant opposer à cela que ce temps de réflexion est infantilisant et culpabilisant, qu’il servait surtout à rendre plus difficile le recours à l’IVG dans les 14 semaines imparties.
Le délai des 16 semaines d’aménorrhée est, comme de nombreux délais en droit, fixé arbitrairement. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’embryon a rarement une reconnaissance de la personnalité juridique, cette dernière aurait donc plutôt un effet protecteur du droit à l’IVG. Cette limite de temps n’a donc pas forcément pour objet la protection de la vie anténatale ou la santé publique mais plutôt des considérations d’ordre démographique. Si l’on considère qu’une femme doit disposer librement de son corps alors tout délais est une forme de patriarcat. Cela interroge sur deux incohérences : l’IMG n’a pas de délai ainsi il est considéré comme légitime d’avorter en cas de handicap mais sans handicap, les femmes sont contrôlées et restreintes. Ensuite, l’IVG peut être pratiquée jusqu’à la fin de la grossesse en cas de maladie de la femme ou du fœtus mais un comité d’expert doit valider la décision, ce qui retire encore de l’autonomie aux femmes.
Le respect de ces délais est d’autant plus difficile qu’il y a toujours des inégalités territoriales et qu’il est donc parfois impossible de trouver un professionnel, il faudrait donc étendre le champ de compétences pour lutter contre les déserts médicaux notamment aux sages femmes et gynécologues. Un autre rempart qui se dresse devant les femmes souhaitant avoir recours à l’IVG est la clause de conscience, la faculté donnée à certains professionnels de santé de ne pas réaliser certains actes car leur conscience personnelle les en empêche. Pour concilier la clause de conscience avec la liberté des femmes à disposer de leurs corps il faudrait donc que les professionnels se prononcent sans délais pour ne pas retarder la procédure et qu’ils orientent vers d’autres médecins susceptibles de réaliser l’acte. Cela pose la question de la légitimité de la clause de conscience dans un hôpital public : elle permet aux médecins d’avoir le choix tandis que l’opération peut s’imposer aux patientes.
La constitutionnalisation de l’IVG est une première étape mais le chemin restera encore sinueux et incertain avant de s’extraire de cette sphère procréative et domestique ont fini par exprimer nos intervenants.
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ThématiqueDroit
Étudiante en première année de Licence mention Droit - Sciences politiques