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[Retour sur la Nuit du droit 2023] Maltraitance des personnes âgées en EHPAD : quelles leçons tirer des scandales récents ?

Evènement | 17 janvier 2024

Article réalisé à l'issue de la conférence "Maltraitance des personnes âgées en EHPAD : quelles leçons tirer des scandales récents ?" le 4 octobre 2023 dans le cadre de la Nuit du droit à l'Université Jean Moulin Lyon 3.

Nuit du droit - maltraitance EHPAD

Le « système qui maltraite nos ainés[1] » sujet tabou et absent de la scène médiatique à l’heure des révélations en janvier 2022 a été choisi par l’Université Jean Moulin pour cette cinquième édition lyonnaise de la Nuit du droit. Guillaume Rousset, maître de conférences en droit privé et modérateur a souhaité placer au frontispice de cette conférence l’ouvrage du journaliste Victor Castanet Les Fossoyeurs qui révéla au grand jour les immondices qui touchèrent en plein cœur les familles : la maltraitance des personnes âgées dans les établissements de santé.

Juristes, personnels de santé et représentants des usagers réunis pour l’occasion ont unanimement souligné qu’ils avaient à faire face au silence, principal obstacle à l’identification des maltraitances. Silence des personnes âgées tout d’abord, car ces dernières n’ont bien souvent pas la capacité de raconter et quand elles en ont la faculté, la peur des représailles, la honte ou la pudeur peuvent les dissuader de parler. Silence des familles dans un second temps, Madame Gachet déplore à ce titre le manque d’accompagnement et de considération de certaines familles pour leurs ainés. Silence du personnel enfin, car bien souvent la maltraitance est imperceptible et sera donc condamnée à ne recevoir aucune réparation.

Un triptyque montrant les difficultés à surmonter dans les établissements de santé fut également établi par les intervenants. Ces derniers pointent ainsi du doigt un sous-effectif dans ces structures spécialisées qui s’explique notamment par le manque de considération pour les carrières dédiées à l’accompagnement des personnes âgées et des plus fragiles. Les établissements dénoncent aussi un dialogue toujours plus compliqué avec les familles traduisant ainsi un désintéressement pour les anciens. Or comme le souligne Mme Lhopital, cadre de santé, un bon accompagnement des personnes âgées ne peut s’envisager sans échanges réciproques entre parents et professionnels. Enfin le tableau est complété par le recours à une définition juridique de la maltraitance, clairsemée et lacunaire qui nuit considérablement au travail de la Justice.

L’appréhension de la maltraitance par le droit tient à son identification et à l’arsenal juridique disponible pour condamner les auteurs des faits répréhensibles. Quant à l’identification tout d’abord, Marion Girer, maître de conférence en droit privé, remarque que la maltraitance, envisagée à l’article L119-1 du code de l’action sociale et des familles, est une notion polysémique. Le texte ne fait pas référence aux personnes âgées mais recouvre un champ bien plus large : “toute personne en situation de vulnérabilité”. Sera qualifié comme auteur tout individu à travers lequel la victime s’est trouvée dans une relation de confiance et de dépendance. La maltraitance s’avère donc être foncièrement protéiforme, elle peut être personnelle, collective voire institutionnelle et peut revêtir plusieurs visages : un geste, une parole, une intervention ou une inaction. Elle peut être permanente comme temporaire. Quant à l’arsenal juridique ensuite, si la Justice a pu s’emparer des scandales qui ont notamment touchés le groupe Orpea, c’est au moyen des qualifications financières (détournement de fonds publics, fausse-factures...) que les responsables ont pu être condamnés alors que les faits concernaient des atteintes à la personne. Madame Girer déplore à ce titre un manque de qualification juridique pour appréhender toutes les facettes humaines de la maltraitance.

Si du chemin reste indéniablement à faire, de nombreuses évolutions sont à noter. Les scandales récents ont eu pour effet d’augmenter le nombre d’enquêtes diligentées par le ministre de la Santé. La création d’un cadre “d’inspection ciblée permet maintenant d’obtenir un rapport circonstanciel dans un délai prompte. Les contrôles (passant de soixante-dix à quatre-cents missions réalisées par an) sont désormais tous réalisés de manière inopinée.

La Faculté de droit de l’Université Jean Moulin Lyon III remercie les intervenants pour leur contribution à cette conférence. Sophie Deroche, Directrice de l’EHPAD Résidence Irénée - Bessenay, DomusVi ; Ingrid Lhopital, Cadre de santé à l’EHPAD Korian Les Aurélias, Pollionnay ; Christiane Gachet, Représentante des usagers, membre du Conseil régional de France Assos Santé Auvergne-Rhône-Alpes ; Stéphane Deleau, Directeur “Inspection, Justice, Usagers”, Agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes ; Marion Girer, Maître de conférences en droit privé à l’Université Jean Moulin - Lyon III ; Guillaume Jaubert, Maître de conférences à l’Université Jean Moulin - Lyon III ; Guillaume Rousset, Maître de conférences en droit privé à l’Université Jean Moulin - Lyon III, Directeur du Centre de Recherche en Droit et Management des Services de Santé.

 

[1] CASTANET (Victor), Les Fossoyeurs : Révélations sur le système qui maltraite nos aînés, Fayard, 2022