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[Retour sur] Conférence de Monsieur Philippe Pelletier – La crise du logement

Evènement | 13 janvier 2025
Lundi 13 janvier 2025
17h - 20h

Conférence du Collège de droit

Philippe Pelletier

Résumé de conférence

Bâtir une société du lien

La pierre n'a point d'espoir d'être autre chose que pierre. Mais de collaborer, elle s'assemble et devient temple.


Antoine de Saint- Exupéry


Lundi 13 janvier 2025, nous avons reçu Monsieur Philippe Pelletier, avocat au barreau de Paris. C’est tant en cette qualité que pour mieux s’adresser à son auditoire, les membres du Collège de Droit et juristes en herbe, que notre invité a débuté son discours. Citant la pièce de Giraudoux, La guerre de Troie n’aura pas lieu, il nous rappelle que le droit n’est finalement que ce que nous en faisons. C’est une discipline de l’interprétation qui laisse toujours à l’Homme, au juge, une marge de manœuvre : « Le droit est la plus puissante des écoles de l’imagination. Jamais poète n’a interprété la nature aussi librement qu’un juriste la réalité. ».

S’adapter aux réalités de la société serait donc l’une des visées du droit. L’une de ses exigences aussi car, selon Monsieur Pelletier, le droit de l’immobilier dont il est spécialiste pèche par ce défaut d’adaptation. Expliquer la crise du logement que nous connaissons par les seuls arguments d’une suppression de l’aide à l’investissement locatif dans le neuf, d’une augmentation des critères et de la restriction de l’espace pour construire ne saurait suffire. Le problème, d’après l’analyse de Monsieur Pelletier, est plus profond : l’immobilisme du monde et du droit immobiliers face à des demandes de logement protéiformes, évolutives.
 

Mouvements du logement, logements mouvants ?

Si, jusqu’en 1980, l’approche dans la construction de logements se voulait plus quantitative que qualitative, le besoin s’est ensuite inversé. 1980, c’est une période de bouleversement immobilier mais aussi et surtout sociétal. Jusqu’alors, le modèle stéréotypé des ménages -femme, homme et enfants- favorisait une offre et une demande uniformes de logement. Mais l’augmentation des divorces, un modèle familial élastique, nucléaire ou recomposé, ont participé à l’émergence de la crise, à laquelle notre invité propose trois parades.

Décentraliser d’abord la politique du logement, dans la lignée des aménagements déjà prévus pour les territoires ultramarins ; adapter en somme la loi générale aux préoccupations locales, régionales.
Transformer ensuite les emplois du secteur immobilier, souvent dépassés par des demandes aussi multiformes que nos modèles familiaux contemporains. Permettre aux artisans de se former à de nouvelles techniques car avec la difficulté de trouver une main d’œuvre qualifiée, c’est toute « la chaîne de l’immobilier [qui] est grippée ». Comment s’en étonner d’ailleurs lorsqu’un millième seulement du budget est consacré à la recherche contre deux à trois pourcents dans les autres domaines. Le droit immobilier n’est d’ailleurs pas en reste, sujet lui aussi à un défaut de modernisation car datant souvent du « droit romain ».

Raisonner enfin « sur des espaces plus vastes que le seul terrain de construction », ne pas réfléchir en « couloir de nage » mais collectivement : « c’est ça faire de l’habitat ».
 

Logement des pauvres, pauvre logement ?

Mais, c’est aussi en qualité de président du directoire du mouvement Habitat et Humanisme que Monsieur Pelletier s’est exprimé. L’une des autres préoccupations du droit de l’immobilier concerne le logement des pauvres. En ce sens, la question d’Imbert est sans équivoque : « droits des pauvres, pauvres droits ? ».

Non, répondra bien sûr Monsieur Pelletier, craignant d’ailleurs autant la précarité juridique que son corollaire : logement des pauvres, pauvre logement. Lutter contre l’insalubrité, contre la précarité énergétique, c’est aussi lutter pour la santé. Les lois de 2000 posant des critères de décence en matière locative, le Plan Bâtiment Durable lancé en 2009 sont tant d’exemples de ce combat.

Cinq mesures sont ainsi portées par notre invité pour garantir la décence des logements : l’interdiction de location des passoires énergétiques, « on ne peut pas louer n’importe quoi » ; la recherche d’une mixité sociale du logement pour « faire société » ; un remodelage des logements où on relève une concentration des pauvretés pour « refabriquer du vivre ensemble » ; offrir un logement, non plus seulement un hébergement : c’est là qu’intervient entre autres Habitat et Humanisme et ses pensions de famille favorisant 90% de réinsertions; mettre fin enfin aux «ghettos français », comme les nomme Éric Maurin, en augmentant l’offre de logement aux familles de parents non diplômés.
 

Tableau d’une « société du lien »

Philippe Pelletier affirme lui-même vouloir « bâtir une société du lien ». Mais le travail reste encore important: faire cohabiter le pauvre, logé par intermittence, et le célibataire et son assortiment de logements vacants : résidence principale, secondaire, etc. Convaincre l’un qu’il n’a pas d’intérêt à accumuler inutilement, réacclimater l’autre à une vie sédentaire, faire évoluer un droit immobilier en marge des réalités de notre époque, sont autant de défis.

Comme l’a affirmé Monsieur Pelletier, « on ne se change pas ». Peut-être est-ce pour cela que l’exposé du spécialiste en droit immobilier semble aussi description littéraire, géographique et analytique de notre société. On pardonnera une analyse aussi libre de la conférence, mais il n’est pas aisé de détacher l’invité de sa célèbre parenté : Paul Verne, frère de Jules, ou encore Joseph Bédier…

Peut-être est-ce pour cela aussi qu’à l’écoute de ce tableau de la crise du logement, surgit une autre esquisse: celle de l’écrivain et aviateur Antoine de Saint-Exupéry. Un jeune garçon, sans véritable maison, qui erre de planète en planète sur lesquelles il est hébergé -et non logé-, souvent le temps d’une soirée : l’astéroïde du businessman qui amasse les étoiles, qui les compte sans les voir, les accumule sans en avoir besoin ; celui du géographe qui relate les aventures des explorateurs sans voyager lui-même, qui dresse des théories, des plans sans connaitre sa propre planète; et puis la planète Terre qui offre tous ces spectacles à la fois. Un jeune homme sans domicile, un multipropriétaire, un législateur parfois déconnecté …

Une leçon à retirer de cette conférence -s’il doit y en avoir une- pourrait donc se résumer à ces mots de Saint-Exupéry:

« Être homme, c'est précisément être responsable. C'est sentir, en posant sa pierre, que l'on contribue à bâtir le monde. Chacun est responsable de tous. Chacun est seul responsable. Chacun est seul responsable de tous. »


Camille Marchal

INFOS PRATIQUES

Lieu(x)

Campus de la Manufacture des Tabacs

Type

Actualité net3, A la Une - net3, Conférence

Thématique

Droit