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[Retour sur] Conférence de Chloé Ridel – Les enjeux de la transparence au sein des institutions européennes

Evènement | 26 mai 2025
Lundi 26 mai 2025
17h - 20h

Conférence du Collège de droit

Les enjeux de la transparence au sein des institutions européennes

Ce lundi 26 mai 2025, les collégiennes et collégiens de l’Université Lyon 3 Jean Moulin ont eu l’honneur d’accueillir Chloé Ridel, députée européenne et porte-parole du Parti socialiste, et Cassandre Bigaignon, chargée de plaidoyer international et européen au sein de l'Alliance contre le Tabac, lesquelles ont offert un éclairage précieux sur les enjeux de transparence au sein des institutions européennes. Par leur parcours et leurs engagements, ces deux intervenantes incarnent la complémentarité nécessaire pour aborder la complexité de la lutte pour la transparence et l'intégrité au cœur des institutions européennes.
 

L'ombre de la corruption sur les institutions européennes

La corruption est un problème qui détruit progressivement la confiance des citoyens envers leurs élus, en plus d’avoir des impacts dramatiques sur les finances publiques et l'économie. L'association Anticor, qui lutte contre la corruption en France, a chiffré son coût annuel à 120 milliards d'euros.

L'impact de la corruption sur la qualité des infrastructures est également alarmant : 83% des effondrements de bâtiments dans le monde au cours des 30 dernières années se sont produits dans des pays présentant un niveau de corruption anormalement élevé. Ce n'est pas un hasard, mais une conséquence directe de marchés publics potentiellement attribués sans critère objectif d'efficacité. Récemment, l'effondrement d'une gare en Serbie, dont le marché public avait été passé dans le cadre d'un pacte de corruption avec une entreprise chinoise, a déclenché une vaste mobilisation citoyenne, notamment portée par la jeunesse.

Le Parlement européen a lui-même été secoué par plusieurs affaires de corruption. L'une des plus notables est le « Qatargate » en 2022, où des députés européens ont accepté de l'argent du Qatar en échange de textes minimisant les problèmes de droits humains dans le pays, notamment liés à la construction des stades de la Coupe du monde. Des centaines de milliers d'euros ont été retrouvés chez certains députés, ternissant considérablement l'image de l'institution. Plus récemment, le "scandale Huawei" a mis en lumière l'influence chinoise, avec un ancien assistant parlementaire parvenu à corrompre plusieurs députés pour qu'ils signent des courriers et amendements critiques à l'égard de la régulation européenne de la 5G pour des raisons de sécurité liées à Huawei.

La corruption est souvent une infraction "très peu déclarée", dont on ne connaît que la "face immergée de l'iceberg". Des associations comme Anticor, qui s'appuient sur un réseau de lanceurs d'alerte, jouent un rôle crucial pour la répertorier. L’intergroupe de Lutte contre la corruption au sein du Parlement européen, présidé par Madame Ridel, travaille à mettre en lumière ces problématiques. Cependant, les associations se sentent de plus en plus en danger au sein de l'UE. Certaines forces politiques, notamment à droite et à l'extrême droite, cherchent à questionner et réduire leurs financements, les considérant comme un contre-pouvoir à éliminer, ce qui est "tragique pour la démocratie".
 

Lobbying nuisible : le cas emblématique de l'industrie du tabac

Il est avant tout essentiel de distinguer le plaidoyer du lobbying. Le plaidoyer vise à influencer les décideurs publics pour faire valoir l'intérêt général ou un bien commun. À l'inverse, le lobbying cherche à influencer le décideur public pour ses propres intérêts privés, souvent ceux d'une entreprise.

L'industrie du tabac est un lobby emblématique car il a créé des méthodes, reprises par d'autres secteurs, pour défendre ses intérêts. Ce secteur est particulièrement problématique car il vend un produit qui est la cause numéro 1 de cancer en Europe et responsable de 8 millions de morts par an dans le monde, un produit qui n'apporte aucun nutriment et qui est juste addictif. 
Les techniques de lobbying de l'industrie du tabac sont bien documentées :

  • Retarder l'adoption des normes : La révision de la directive sur les produits du tabac, prévue en 2019, n'a toujours pas abouti à une proposition de la Commission en 2025.
  • Affaiblir ou annuler les normes : Lors de la directive de 2014, l'industrie a réussi à faire passer le paquet neutre d'une obligation à une simple possibilité pour les États membres.
  • Désinformation et "stratégie du doute" : Cette méthode consiste à financer ou produire des études pour créer un doute scientifique sur les méfaits du tabac.


Face à l'influence des lobbies privés, le plaidoyer mené par les associations et ONG est un contrepouvoir essentiel. En tant que contre-lobby, l'Alliance contre le Tabac travaille à exposer les mensonges et manipulations de l'industrie, rétablir la vérité scientifique, mobiliser la presse, et mettre en lumière les tentatives de corruption ou de désinformation. Un succès concret de ce plaidoyer est l'interdiction des cigarettes électroniques jetables ("puffs") en France, notamment mené par Madame Bigaignon.
 

Initiatives européennes et lacunes persistantes

Pour lutter contre la corruption, des initiatives institutionnelles sont nécessaires car elles impliquent l'édiction et l'application de règles de transparence et de régulation des conflits d'intérêt. Au niveau européen, une directive post-Qatargate est en cours de négociation. Elle vise à harmoniser les définitions des infractions de corruption, établir des mesures de prévention et les peines associées dans tous les États membres. L'harmonisation est cruciale, car certains pays n'ont aucune règle en la matière, permettant une corruption potentiellement illimitée et des ingérences étrangères. Cependant, la négociation de cette directive se heurte à une forte résistance des États membres qui ne veulent pas changer leur législation. Le Parlement européen, soutenu par les citoyens, pousse pour l'ambition du texte, mais le processus de trilogue est difficile.

Malgré ces avancées, des lacunes importantes demeurent tel que le cumul des mandats avec une activité professionnelle privée, l’absence de justice européenne compétente en matière de corruption, ou encore le manque d'accès aux documents.
Axes prioritaires pour renforcer la transparence et l'intégrité Ainsi, pour renforcer la lutte contre la corruption et les lobbys nuisibles dans les prochaines années, trois axes prioritaires émergent :

  • Renforcer le cadre législatif et institutionnel européen, notamment par la directive en cours de négociation, mais aussi par la réforme du statut des fonctionnaires de la Commission pour permettre de sanctionner plus efficacement les infractions, ou encore par l’élargissement des compétences du Parquet européen.
  • Améliorer la transparence et le contrôle par des mesures concrètes parmi lesquelles la suppression du cumul du mandat, la mise en place d’un organe européen d'éthique indépendant et le renfort du pouvoir d'enquête des Parlements (européen et nationaux).
  • Protéger et renforcer les contre-pouvoirs, comprenant les lanceurs d’alerte, les associations de lutte contre la corruption et de plaidoyer mais également la presse, pilier essentiel de la démocratie.


La mobilisation citoyenne, souvent déclenchée par des scandales, est un levier important pour pousser les élus à agir. « On se sert des scandales pour essayer de faire avancer la cause » nous rappelle Chloé Ridel.
 

Léane Berthier et Adam Lamure, Etudiants du Collège de droit

INFOS PRATIQUES

Lieu(x)

Campus de la Manufacture des Tabacs

Type

Actualité net3, A la Une - net3, Conférence

Thématique

Droit