Conférence : L’engagement de l’avocat

Evènement | 9 mars 2020

Le 09 mars 2020, maître Roksana Naserzadeh est intervenue devant les étudiants du Collège de droit pour traiter d'un sujet à même d'éveiller les consciences : l'engagement de l'avocat. La conférence, passionnante, a fortement marqué les esprits. En témoignent les échanges qu'elle a suscité et l'intérêt exprimé par l'ensemble des étudiants. Pour Lyon Droit, maître Roksana Naserzadeh revient sur ce sujet.

Roksana Naserzadeh
Le 27 août 2020, « Une figure de proue, un visage familier pour des milliers de personnes qui l’ont croisée dans les tribunaux et les chambres mortuaires » ainsi qu’un « bouclier » que ses proches pensaient « capable d’encaisser tous les coups », une femme « solaire, tout le temps heureuse,
une poétesse dans l’âme qui passait ses journées à chanter », maître Ebru Timtik, avocate en Turquie, est décédée après 238 jours de grève de la faim qu’elle avait entreprise au soutien d’une unique revendication : le droit à un procès équitable.

Condamnée en 2019 à plus de treize années de réclusion criminelle pour avoir exercé son métier d’avocat, elle avait déclaré : « Je persisterai dans la grève de la faim, même si cela entraine ma mort. Si un avocat meurt, il demandera justice dans sa tombe. Nous briserons toutes nos chaines. Liberté pour les avocats ! Liberté pour la défense, Liberté. ».

Les autorités turques se sont acharnées à tenter de la réduire au silence parce que maître Ebru Timtik s’était acharnée à porter la voix de ceux qu’on opprime. Tous les Barreaux français ont, à leur tour, porté la voix de maître Ebru Timtik, l’espace d’une minute de silence, le 7 septembre 2020 à midi.

Maître Ebru Timtik oblige la profession d’avocat pour n’avoir jamais incliné son front devant l’arbitraire, pour ne s’être jamais résignée, pour ne s’être être jamais tue.

Les raisons et les circonstances du décès de ma Consoeur, nous renvoient à la question essentielle que se pose qui aspire à exécrer le métier d’avocat « le bel état du monde » : quel est l’engagement de l’avocat qui accepte la défense de la personne qui met entre ses mains son sort judicaire ?

Si le premier le premier engagement de tout avocat est de respecter son serment, intervient immédiatement après la question du caractère militant de son engagement.

Le serment : Cinq points cardinaux qui régentent la pratique de l'avocat dans l’exercice de son métier : "Je jure comme avocat, d'exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ".

Attardons-nous un instant sur le serment d’humanité. De nombreux confrères alliant une parfaite maitrise des instruments juridiques et une humanité profonde, oeuvrent à obtenir l’effectivité des droits des plus démunis. Il en est ainsi lorsqu’après bataille juridique, « la possibilité de disposer d’un logement décent » a été reconnue comme « un objectif à valeur constitutionnelle »4, ou bien encore, lorsque « la fraternité » a été admise en tant que principe à valeur constitutionnelle.

Bien que ne figure pas au serment de l’avocat, un sixième engagement – indispensable corolaire des cinq piliers – s’impose à l’avocat : le respect absolu du secret professionnel. Cette notion renferme deux exigences essentielles : celle qui s’impose à l’avocat mais également celle qui s’impose aux autorités. Au titre de cette dernière exigence, le 26 août dernier, l’ancien ministre de la Justice, Dominique Perben, remettait au nouveau garde des Sceaux, son rapport relatif à l’avenir de la profession d’avocat. S’agissant plus particulièrement du secret professionnel, ce rapport préconisait un renforcement des pouvoirs du juge des libertés et de la détention en matière de contrôle des mesures coercitives exercées à l’encontre des avocats à l’occasion des perquisitions menées dans leurs cabinets ou domiciles. À cet égard, on se reportera utilement à l’ouvrage de maître Vincent Nioré, défenseur acharné des confrères qui subissent de tels actes de coercition. Son engagement dans ce domaine est aussi essentiel qu’exemplaire.

Au-delà des engagements qui s’imposent à l’avocat à raison du serment prêté et de l’adhésion au règlement intérieur national de la profession, peut-il et dans l’affirmative, doit-il rendre son engagement militant ?

Le Barreau français était en deuil le 28 juillet dernier, déplorant le décès de maître Gisèle Halimi. En 1972, au procès de « Bobigny », elle défendait une jeune fille mineure, Marie-Claire, et sa mère qui l'avait aidée à avorter. Dès la première phrase de sa plaidoirie – redoutable, brillante – maître Gisèle Halimi avait revendiqué son militantisme : « Je ressens avec une plénitude jamais connue à ce jour un parfait accord entre mon métier qui est de plaider, qui est de défendre, et ma condition de femme. (…) Elles (les femmes poursuivies) sont ma famille. Elles sont mon combat. Elles sont ma pratique quotidienne. Et si je ne parle aujourd’hui, Messieurs, que de l’avortement et de la condition faite à la femme par une loi répressive, une loi d’un autre âge, c’est moins parce que le dossier nous y contraint que parce que cette loi à laquelle je dénie toute valeur, toute applicabilité, toute possibilité de recevoir aujourd’hui et demain le moindre sens, que parce que cette loi est la pierre de touche de l’oppression qui frappe la femme ».

Une autre figure du Barreau français, l’immense Thierry Lévy, revendiquait son militantisme dans sa pratique quotidienne. Sa détestation de la peine d’emprisonnement infligée aux personnes condamnées pénalement guidait son combat : « J’étais convaincu qu’on ne pouvait affronter sans trembler un homme privé de liberté et qu’une telle frayeur ne venait pas des actes plus ou moins répréhensibles qu’il avait pu commettre mais du traitement que nous lui infligions froidement, délibérément et volontairement.» . Son militantisme intransigeant l’avait conduit à refuser de
défendre toute partie plaignante dès lors qu’en face, la personne poursuivie risquait l’enfermement. Ici, le militantisme revendiqué de l’avocat dessine les contours de son engagement.

Il existe cependant une différence fondamentale entre la défense politique, ou bien encore la défense de rupture et l’engagement militant de l’avocat. Rappelant ce que Karl Liebknecht, fondateur du parti communiste allemand, avait crié à son procès « Je suis ici pour accuser, non pour me défendre »9, maître François Saint-Pierre écrit « Voilà quelle est la stricte définition de la défense de rupture : un refus radical de participation de l’accusé à son procès ». 

À la vérité, lorsqu’on évoque l’engagement de l’avocat, vient à l’esprit de chacun l’image de l’avocat de « la veuve et l’orphelin » ou encore celle des avocats des « grandes causes justes». Cette image romantique de l’exercice de la profession ne reflète pas la plénitude de ce métier aussi indispensable qu’envoutant. De nombreux avocats consacrent leur énergie à la défense des personnes accusées d’avoir commis des actes terribles, en somme des personnes loin de l’image de la « victime innocente ». Mais la gravité immense de leurs actes ne saurait ôter à ces hommes et à ces femmes, leur humanité et leurs droits essentiels. Pourtant, la conscience collective est très encline à céder sur ce terrain. C’est pourquoi, dans ce domaine, l’engagement de l’avocat est d’autant plus indispensable.

L’engagement de l’avocat – qu’il défende une « victime innocente » ou bien « un criminel dangereux » - est de manier le droit de la façon la plus favorable au sort judiciaire de la personne qui lui a confié sa défense et ce, dans respect stricte de sa déontologie et son serment. Son militantisme peut le galvaniser dans l’exercice de son métier, mais gare à celui qui instrumentalise le prétoire au soutien de ses propres convictions ou de sa notoriété fantasmée ou bien réelle, et qui occulte ainsi la voix de la personne à défendre. La plaidoirie n’est pas un exercice rhétorique au soutien de l’image superbe de celui qui la prononce mais un engagement fondamental à porter la voix de la personne à défendre.