17h - 20h
Le lundi 20 janvier, le Collège de droit a eu le plaisir d'accueillir Eliette Abécassis pour une conférence autour de son ouvrage Divorce à la française. Devant un public d'étudiants et en compagnie des professeurs Marie-Anne Frison-Roche, Vincent Egea, Jean-Christophe Roda, et Hervé de Gaudemar, l'écrivaine a abordé les liens étroits entre droit et littérature, deux disciplines unies par une quête commune : celle de la vérité.
Dans ce texte rédigé par Eliette Abécassis, l'auteure revient sur les thèmes abordés lors de cet échange : la multiplicité des points de vue, le rôle de la procédure judiciaire, et les questions fondamentales posées par le droit dans nos sociétés contemporaines. À travers ces réflexions, elle nous invite à découvrir comment la littérature peut éclairer les rouages complexes du droit, tout en offrant une plongée dans l'univers de son dernier roman "Divorce à la française".
Echange avec Eliette Abécassis
J’étais très heureuse de présenter mon livre « Divorce à la française », au collège de Droit et de pouvoir échanger avec les professeurs Marie-Anne Frison-Roche, Vincent Egea, Jean-Christophe Roda, ainsi que monsieur le Doyen Hervé de Gaudemar.J’ai pu évoquer le sujet du droit et de la littérature et leur sujet commun : la vérité.
La littérature cherche avant tout la vérité des êtres, des choses, du monde. Pas la vérité factuelle, pas la réalité, mais la vérité profonde, cette vérité qui n’est pas forcément rationnelle mais qui vient saisir l’humain dans tout ce qu’il a de contradictoire et de complexe . Et c’est en s’immergeant dans un sujet, dans un milieu quel qu’il soit, que l’écrivain va rendre compte de cette vérité en construisant son intrigue et en cherchant ses personnages, car il a cette capacité de ressentir les êtres et les choses et de s’y intéresser du point de vue de l’humain. La vérité le passionne. Loin des conventions et des qu’en dira-t-on, cette vérité complexe et contradictoire, surprenante et parfois incohérente, qui est la vérité de la vie.
Le droit aussi cherche la vérité afin de juger équitablement, en connaissance de cause, une vérité matérielle et probatoire, nécessaire à la vie en société. Comme le dit Zola « La vérité et la justice sont souveraines, car elles seules assurent la grandeur des nations ». Mais cette vérité se dérobe, se cache, car elle est contradictoire et plurielle et dans un procès, il est parfois difficile de savoir qui ment, qui a raison et qui a tort, qui manipule et qui dit la vérité. Et pourtant c’est bien le travail de la justice de la faire naître, cette vérité, à force de preuves, afin de pouvoir juger sur les faits.
C’est en faisant ce parallèle entre le droit et la littérature que j’ai eu l’idée d’écrire « Divorce à la française ». Le principe du livre est le suivant : il est construit comme un dossier, un vrai dossier de divorce, un cas pratique. Chacun s’adresse à la juge et donne sa version des faits : le mari, la femme, les enfants, les proches, l’expert-comptable, et toute une galerie de personnages qui témoigne selon sa vérité, son intérêt, et sa façon de voir l’histoire de ce couple. J’ai voulu perdre le lecteur, l’égarer tout en lui donnant les clefs pour retrouver la vérité, et pour mener son enquête. A partir d’une documentation et d’une écoute de divorcés, j’ai tenté de reconstituer ce que chacun pense. Même les enfants, qui n’expriment pas toujours leurs points de vue, mais celui des parents les plus influents. Et même les avocats, qui n’expriment par toujours leurs points de vue, mais ceux de leur client.
Un seul personnage manque, c’est celui qui a le point de vue omniscient, celui qui sait tout mais ne dit rien : c’est le magistrat. Chacun s’adressant au juge, s’adresse au lecteur qui est aussi juge. Et le juge est lecteur de témoignages contradictoires. Le roman permet cette expérience fascinante de se retrouver dans la peau de chacun. Comme le dit Marcel Proust, « Le seul, le vrai, l'unique voyage c'est de changer de regard. » En changeant de regard, on change de regard sur le monde. On comprend l’importance de le faire. Et comme le lecteur est juge, il comprendra la difficulté extrême de juger.
Il me semble aussi que cette multiplicité des points de vue est essentielle à rappeler dans notre société où tout devient univoque, et chaque pensée est prise comme un dogme, et par le biais des algorithmes, se retrouve répétée à l’infini sur nos téléphones actifs. Et ce qui caractérise notre modernité, ce n’est pas tant la désinformation que le mélange entre la vérité et le mensonge, et l’impossibilité de démêler l’une de l’autre. Comme le dit encore Proust: « Tant que la lecture est pour nous l'initiatrice dont les clefs magiques nous ouvrent la porte des demeures où nous n'aurions pas su pénétrer, son rôle dans notre vie est salutaire. »
Ainsi, j’ai tenté de donner à voir ce qu’est un « Divorce à la française » aujourd’hui, à travers la procédure, le contradictoire, la judiciarisation du divorce, mais aussi j’ai soulevé des problématiques actuelles comme la garde alternée, la parole de l’enfant, les violences conjugales, la violence économique, et les violences faites aux femmes. J’ai tenté de montrer non pas pourquoi mais comment se mettent en place ces violences, et comment elles se perpétuent à travers la procédure en la manipulant.
Avec les étudiants, nous avons pu évoquer des sujets tels que le principe du contradictoire, sujet de la thèse du professeur Frison-Roche, qui a rappelé le principe de Motulski : « on ne peut pas juger sans avoir écouté l’un et l’autre ». Nous avons parlé de la procédure, qui demande du temps, le temps utile (que cela « refroidisse »), ainsi que du thème de la justice et du militantisme, entre autres thèmes passionnants qui montrent que le droit est au cœur de la société, et de ses enjeux fondamentaux.
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